Dans la deuxième moitié du XXe siècle, le PIB mondial a été multipliée par six. Le tourisme qui s’est développé en parallèle, ainsi que la pêche, l’énergie, l’exploitation minière et l’agriculture ont eu un impact particulièrement important sur les écosystèmes côtiers. Le tourisme a été l’une des industries qui a connu la croissance la plus rapide au monde, avec une multiplication par 27 du nombre de touristes.
Or, la dégradation de ces écosystèmes n’est pas sans aggraver les risques pour les populations proches des mers et océans. L’aménagement des littoraux a, par exemple, souvent conduit à faire disparaître des zones humides qui étaient autant de zones d’atténuation des perturbations. Sans ces dernières, les ondes de tempête peuvent déferler à plus grande vitesse vers les terres et atteindre des hauteurs plus importantes.
En 2015, plus de 20 % de la population mondiale vivait déjà à moins de 30 km des côtes et, si l’on en croit les projections démographiques, ces résidents seront toujours plus nombreux. Une question majeure qui se pose alors est de comprendre comment ces aires géographiques peuvent trouver un équilibre entre développement humain et conservation des écosystèmes. Comment articuler développement humain et pression anthropique croissante, qu’il importe de limiter sur des écosystèmes qui subissent déjà les effets du réchauffement climatique?
Pour y répondre, encore faut-il avoir bien identifié les déterminants du développement humain – estimé par la croissance économique – des pays exposés aux risques côtiers. Tel a été l’enjeu d’un travail de recherche qui a analysé le modèle économique de 54 de ces territoires sur la période 1960-2009, mis en regard de 83 autres.
Prisonniers d’un cercle vicieux?
Plusieurs modèles théoriques de croissance ont été mobilisés afin d’identifier celui correspondant au mieux à l’économie des pays concernés. Le premier constat que nous en avons tiré semble plutôt inquiétant. Parce que leur croissance dépend fortement des ressources naturelles et d’un taux de fécondité élevé, ces pays pourraient être tentés de rechercher des gains économiques à court terme au détriment du moyen terme et de la viabilité de leurs écosystèmes.
Le fort poids des ressources naturelles dans l’économie et la dépendance aux exportations pénalise pourtant la croissance de ces pays, ce que des travaux antérieurs avaient déjà bien identifié. En effet, la liste des pays qui n’ont pas réussi à utiliser leurs abondantes ressources naturelles pour favoriser le progrès économique et social est longue.
C’est un phénomène connu sous le nom de "malédiction des ressources naturelles". Au moins quatre facteurs contribuent à l’expliquer: la volatilité des prix internationaux de ces ressources, l’éviction permanente du secteur manufacturier (ou syndrome hollandais), les institutions autocratiques ou oligarchiques et les institutions anarchiques.
Ces facteurs ne sont pas circonscrits au pays en voie de développement. Le "syndrome néerlandais" était une explication populaire du processus de désindustrialisation vécu par plusieurs pays développés riches en ressources dans les années 1970 et 1980. Ce syndrome se produit lorsqu’un boom des ressources réduit les incitations à produire localement d’autres biens échangeables non liés aux ressources. Or, dépendre des exportations d’une telle ressource conduit à une appréciation de la monnaie qui pénalise les autres branches de l’économie.
In fine, lorsque l’exploitation des ressources naturelles n’est pas bien gérée, en faveur du bien commun, les revenus élevés, en provenance des devises liées aux exportations, ne se transforment pas en sources de richesse durable pour les pays. Les incitations sont néanmoins fortes à court terme.
Alors que les bénéfices économiques ne se répercutent pas sur la population, les ressources sont souvent surexploitées ou tout simplement épuisées. Cela met en évidence les pressions anthropiques supplémentaires potentielles auxquelles pourraient être confrontées ces zones côtières : conversion des terres à l’agriculture ou à l’aquaculture, construction, travaux publics requis par les exportations de ressources naturelles…
Nous montrons également l’importance particulière dans ces pays du taux de fécondité élevé, qui stimule la croissance. Ce résultat est tout aussi inquiétant car il suggère que la dégradation des écosystèmes côtiers risque de s’accélérer : une population plus nombreuse, c’est davantage de pression à l’exploitation des ressources naturelles et d’urbanisation des littoraux. Il y a par exemple un risque de surpêche: pêcher trop de poissons et surtout trop de poissons qui n’ont pas atteint l’âge de reproduction, menaçant la pérennité de cette population de poissons.
Des atouts néanmoins
Il apparaît cependant que ces pays peuvent avoir des caractéristiques propices à une gestion plus durable de ces écosystèmes.
Beaucoup de pays confrontés à des risques côtiers sont par exemple d’anciennes colonies britanniques, caractérisées par un cadre juridique de common law, un système politique parlementaire, un degré élevé d’ouverture au commerce international, un faible fractionnement linguistique et ethnique et un faible niveau de corruption dans le secteur public. Ces anciennes colonies britanniques sont généralement considérées comme ayant de meilleures institutions politiques et économiques que les anciennes colonies françaises, portugaises et espagnoles, essentiellement parce que la Grande-Bretagne a colonisé des régions où se sont installés plus de colons, ce qui a poussé à mettre en place un système plus respectueux des droits des individus.
Si en termes des choix politiques, les gains à court terme sont souvent préférés à une bonne gestion locale des écosystèmes, cette préférence est plus faible lorsque les institutions sont de bonne qualité. Certaines études montrent que des institutions stables et légitimes permettent aux pays d’améliorer l’état des écosystèmes coralliens, notamment grâce à des réglementations de pêche et à des zones marines protégées mieux respectées.
Les pays fortement exposés aux risques côtiers se caractérisent également par une moindre fragmentation linguistique et ethnique, ce qui peut favoriser la qualité des écosystèmes côtiers. Un fractionnement ethnique moindre peut se traduire par de meilleures performances environnementales, car il conduit en moyenne à une plus grande cohésion et à une meilleure communication. Une diversité des intérêts des communautés locales, de leurs structures sociales, culturelles, a souvent conduit à l’échec des projets de conservation de l’environnement marin.
Si la forte dépendance du développement humain à l’exportation des ressources naturelles et à un taux de fécondité élevé peut exacerber la dégradation de ces écosystèmes côtiers, l’amélioration de la qualité de leurs institutions serait ainsi propice à une gestion plus durable de ces écosystèmes.
Article écrit par Laura Recuero Virto, Denis Couvet et Farid Gasmi, posté sur The Conversation, le 27 septembre
Photo d'illustration:Photo de Liza Azorina sur Unsplash