Appliquer le principe du "pollueur‐payeur". C'est dans cet objectif que la Toulouse School of Economics (TSE) et la chaire Économie du climat de l'Université Paris‐Dauphine viennent de lancer un appel commun pour instaurer un prix mondial unique pour le carbone, à l'occasion de la COP21, en décembre prochain. Christian Gollier, directeur de TSE, est un fervent défenseur de ce système qui permettrait selon lui de responsabiliser les entreprises. Interview.
À cinq mois du coup d'envoi de la COP21, 38 économistes viennent de signer l'appel pour "un accord ambitieux et crédible sur le climat" parmi lesquels figurent des économistes reconnus
dans le monde entier tels que le prix Nobel d'économie Jean Tirole ou le Français Philippe Aghion, professeur à Harvard. L'initiative a été lancée par la chaire Économie du climat de Paris-Dauphine (CEC) et la Toulouse School of Economics (TSE), l'école d'économie toulousaine. Les deux établissements ont mis en ligne un site internet commun pour recueillir davantage de signatures. Pour le directeur de TSE, Christian Gollier, un "marché mondial du carbone" est indispensable pour taxer les pollueurs. Explications.
Pourquoi défendez-vous l'instauration d'un prix mondial du carbone ?
L'idée est d'appliquer le principe du pollueur-payeur : "vous polluez, vous payez". En cas de besoin, les entreprises peuvent acheter des permis d'émission de gaz à effet de serre (dont le prix est fixé suivant la loi de l'offre et de la demande, NDLR). Les sociétés réduisant leurs émissions de CO2 peuvent à l'inverse vendre des permis à polluer. L'efficacité de ce système a été démontré suivant plusieurs modèles économiques : quand vous ne payez pas pour les dommages que vous causez, vous avez tendance à exagérer ces dommages. Aujourd'hui, les citoyens gaspillent le CO2 car ils n'en payent pas le prix réel. Instaurer un prix mondial du carbone obligerait à tenir compte des dommages engendrés par la pollution.
Les bases du marché du carbone ont été posées lors du protocole de Kyoto en 1997. Le prix de la tonne carbone était fixé à 30 euros. Seuls les Européens ont mis en place un tel système et les prix ont tellement chuté que la tonne de CO2 vaut aujourd'hui entre 5 et 7 euros sur le marché européen. Certaines organisations écologistes comme Attac demandent l'abandon pur et simple de ce système...
Quand les Européens ont mis au point ce système, ils pensaient que les Américains, les Australiens, les Japonais, les Chinois allaient faire un système similaire et contribuer à l'effort européen. Mais, très rapidement, les Européens se sont aperçus qu'ils étaient seuls à réaliser cet effort. Pire, les entreprises pénalisées ont délocalisé leurs emplois. In fine, le système est coûteux pour l'Europe. Le marché a fini par baisser les bras et le prix du carbone s'est mis à chuter. Le système en tant que tel marche très bien sauf que la mise en oeuvre en Europe n'a
pas fonctionné.
Dans votre appel, vous évoquez aussi le risque de passagers clandestins...
Chaque pays a tout intérêt à ce que les émissions de CO2 soient réduites massivement mais surtout que ce soit les autres qui fassent l'effort : c'est le problème du passager clandestin (Ce
concept économique stipule qu'une personne ou un organisme profite d'un avantage sans avoir fait autant d'effort que les autres membre d'une communauté. Ici, les passagers clandestins
seraient les États qui ne participeraient pas à la réduction des émissions de CO2, NDLR). D'autant que réduire ses émissions de CO2 coûte de l'argent. Des entreprises trop polluantes
vont devoir fermer : un sacrifice pour l'économie nationale et pour les salariés qui vont perdre leur emploi. Aucun pays n'est prêt à sacrifier ses emplois. Pourtant, le bénéfice à long terme serait mondial sur la vie de vos enfants et de vos petits-enfants.
Quels changements faudrait-il apporter pour que le système fonctionne au niveau mondial ?
Il faut construire des mécanismes de régulation intelligents. Plusieurs dispositions sont possibles : mettre en place un prix plancher au-dessus duquel le prix de la tonne de carbone ne peut descendre. Il suffirait aussi de réduire l'offre de permis d'émission de gaz à effet de serre pour en faire remonter le prix. Ces mécanismes de régulation n'ont pas été mis en place en Europe car les Européens se sont aperçus qu'ils étaient les dindons de la farce.
Dans votre appel, vous demandez aussi l'instauration d'un tarif douanier pour les pays qui ne participent pas au marché du carbone....
Pour limiter les passagers clandestins, il faut les pénaliser. La solution la plus simple mais également la plus compliquée à mettre en oeuvre est de créer des droits de douane, des taxes à l'importation pour les pays qui refusent de jouer le jeu. Il n'est pas évident que l'OMC accepte ce genre de taxes. Il faut que ce principe soit validé par une instance internationale sinon on risquerait de tomber dans une guerre de protectionnisme provoquant une grave crise économique avec des conséquences bien plus graves que le réchauffement climatique.
À quoi doit servir l'argent généré par le marché du carbone ?
Beaucoup de gens voudraient s'approprier la manne financière générée par ces permis, mais cet argent constitue des recettes supplémentaires pour l'État pour réduire le coût du travail et le chômage ou faire de l'aide au développement pour les pays les plus pauvres.
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