Le scandale Volskwagen illustre une nouvelle fois l'échec des réglementations environnementales. Il est aisé pour les lobbies industriels d'en influencer la conception pour y laisser des failles et, in fine, mieux les contourner - sans qu'il n'y ait forcément besoin de recourir à des moyens frauduleux. Dans le cas du diesel, ONG et associations de consommateurs pointaient depuis bien longtemps les carences des contrôles et le manque d'indépendance des organismes nationaux en charge de définir et de faire respecter les normes européennes. Politiques et administrations ont malgré tout préféré continuer à s'abriter derrière la complexité de normes techniques pour ne pas déplaire à notre industrie.
La pollution est l'exemple classique d'une «externalité» économique c'est-à-dire d'une situation dans laquelle l'acte (ici de production) d'un agent influe (ici négativement) sur d'autres, sans que cette interaction ne transite par le marché (i.e., ne donne lieu à une compensation monétaire). En présence d'externalité, la main invisible - chère à Adam Smith - ne guide plus les individus vers des décisions socialement optimales. Comparé à l'ensemble de la collectivité, le pollueur ne supporte qu'une infime partie des dégâts qu'il fait subir à l'environnement. Le bien-être social peut donc être amélioré si on est capable de corriger l'externalité en conduisant chacun à internaliser les effets externes de ses comportements.
La méthode la plus appropriée consiste à mettre un prix sur la pollution, à travers une taxe ou un plafond global sur les émissions. Deux procédés relativement équivalents, même si le second dispense du délicat calcul de la taxe. Un marché des permis d'émission se charge en effet de fixer le prix de la pollution en fonction du volume de réduction jugé nécessaire. Qualifié de «signal-prix», cela permet de diminuer à moindre coût la pollution en incitant chacun à proportionner ses efforts au regard d'un référent commun, mais nécessite de disposer d'institutions indépendantes capables de résister aux lobbies. Introduit en 2005, le marché européen des permis d'émission de CO2 a par exemple été rapidement perverti : sous la pression d'industriels les permis ont été distribués de manière démesurée, entraînant un effondrement du prix du carbone dès mai 2006 !
La bonne approche pour lutter contre la pollution repose donc sur deux clefs de voûte: la simplicité, qu'offre un mécanisme par les prix, et l'indépendance, procurée par une instance protégée de toute influence. Est-elle également pertinente face au risque de réchauffement climatique? Oui, à condition d'englober tous les acteurs: ne taxer que l'industrie européenne peut faire gagner des parts de marché à des concurrents étrangers qui pollueront bien davantage, inciter certains pays à stopper la déforestation peut faire augmenter le cours du bois et en conduire d'autres à détruire leur propre environnement pour répondre à la demande. Ces risques de «fuite de carbone» constituent une menace sur l'efficacité du dispositif et peuvent pousser les uns et les autres à adopter des attitudes non coopératives.
Pour inverser la courbe du réchauffement climatique, il faudrait dès à présent avoir le courage de permettre l'émergence d'un organisme indépendant capable de suivre sérieusement les efforts de chacun - la technologie satellitaire permet facilement de mesurer les émissions, puis de s'accorder sur des engagements fermes, quitte à taxer les pays qui n'accepteront pas de jouer le jeu. L'économiste William Nordhaus a démontré en 2014 la viabilité de cette solution, reposant sur la formation d'un club de pays qui accepteraient de faire peser sur ses populations et ses industries une taxe carbone de 50 euros par tonne tout en imposant aux autres une taxe de 5% aux frontières.
Vouloir rechercher le consensus, voilà sans doute ce qui rend inopérantes les négociations climatiques. Il est en effet très difficile de coordonner les efforts d'une multitude de pays sur la base d'engagements volontaires. N'en déplaise à certains, le protocole de Kyoto n'y est pas parvenu de manière efficace. Les derniers travaux académiques montrent en effet que ce fameux protocole, signé en 1997 et censé contraindre jusqu'en 2012 les émissions de gaz à effet de serre de seulement 37 pays industrialisés, n'a servi à rien! Une comparaison fine entre les pays ayant accepté d'en subir les contraintes et les autres vient d'être réalisée par les économistes Christian Almer et Ralph Winkler. En tenant compte pour la première fois des spécificités de chaque pays, ils montrent que le protocole de Kyoto n'a eu aucune influence sur les niveaux d'émissions. Des travaux antérieurs avaient donné l'impression du contraire, mais se trompaient en imputant au protocole de Kyoto l'impact de la chute de l'Union soviétique. Lorsque l'on retire de l'analyse les pays de l'ex-URSS, dont les émissions ont chuté avec le recul de leur activité économique dans les années 90, l'effet alors attribué aux négociations climatiques disparaît!
Plus le nombre de pays associés est important, moins l'accord devient efficace! Telle est aussi la récente conclusion des économistes Jared Carbone, Carsten Helm et Thomas Rutherford pour qui le plus pertinent serait de viser un accord restreint, réunissant la Chine, l'Europe et la Russie! Un deal «donnant-donnant», limité aux pays développés les plus soucieux de l'environnement et aux économies en voie de développement où la réduction de la pollution serait la moins coûteuse. Cette solution, fondée sur une coalition restreinte de pays s'échangeant des droits d'émission, permettrait implicitement d'aider les pays en développement à gérer la transition énergétique. Les pays développés financeraient en effet l'effort de ces derniers à travers la revente de permis. Taxer aux frontières les pays non membres du club permettrait alors de limiter au maximum les fuites de carbone, et in fine les inciterait à intégrer la coalition.
Malgré cela, la 21ème conférence sur le climat (COP21) s'est dès le départ fixée l'objectif irréaliste d'un accord soutenu à l'unanimité par les 195 pays qui se réuniront en décembre à Paris. Son autre ambition est la mise en pratique du Fonds vert pour le climat, initié en 2009 à Copenhague et officiellement créé en 2011 à Durban, censé soutenir dans les pays en développement des investissements pour prévenir le réchauffement climatique et s'y adapter. L'annonce des huit premiers projets financés par le Fonds vert, à hauteur de quelques centaines de millions de dollars, est certes louable, mais cela reste bien dérisoire au regard des véritables enjeux. Comment espérer que les populations des pays développés puissent accepter de transférer tous les ans 100 milliards de dollars en faveur des pays en développement sans contreparties sérieuses? De tels transferts ne seront pas politiquement acceptables s'ils ne sont mis en œuvre via un mécanisme permettant d'atteindre les objectifs climatiques.
On est donc bien loin de l'angélisme déployé en amont de la COP 21 qui ne devrait aboutir qu'à un accord «pledge and review» consistant à collecter des promesses à un niveau national et à se réunir de temps en temps pour voir si elles sont tenues! Celles qui le seront risquent d'être l'apanage de pays qui ne souhaitent pas faire le moindre effort pour préserver notre planète mais qui veulent légitiment protéger leurs propres populations de la pollution atmosphérique locale. Une étude du FMI en 2014 révélait que les 20 principaux pays émetteurs de CO2 ont intérêt à réduire significativement leurs émissions pour cette raison. Il y a fort à parier que c'est seulement dans cette logique que s'inscrit l'annonce par la Chine du plafonnement de ses émissions en 2030! Malheureusement, une somme d'efforts égoïstes risque de se révéler bien insuffisante pour lutter contre le réchauffement climatique !
S'il n'y a donc guère à attendre de la COP21, une lueur d'espoir persistera néanmoins puisque près de 40 pays, dont la Chine et les Etats-Unis, ont déjà mis en place des marchés locaux de permis d'émission pour contrôler la pollution. Certes, le prix du carbone y est encore beaucoup trop faible pour éviter le réchauffement climatique – en dehors de la Suède, personne ne taxe suffisamment ses émissions de CO2. Cependant, certains pays pourraient finir par interconnecter leurs marchés locaux, et construire ainsi petit à petit une coalition restreinte de pays prêts à agir véritablement en s'imposant un prix du carbone élevé. ¦
Article publié dans la Revue Parlementaire et dans Les Échos
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