Les citoyens britanniques vont bientôt devoir se prononcer sur l’appartenance de leur pays à l’Union Européenne. Le parti souverainiste anglais (UKIP) et toute une fraction du parti conservateur mènent campagne pour une sortie de l’union. La prévalence de cette attitude est un point commun entre la Grande Bretagne et l’Europe continentale. En France, le Front National, en Italie le mouvement 5 étoiles, et en Espagne le parti Podemos proposent, eux aussi, de quitter l’Union Européenne.
En revanche, à l’intérieur de chaque pays, on observe aussi une opposition entre les tenants de ce populisme souverainiste et ceux de l’ouverture et de l’intégration économique. Quels sont les déterminants de cette opposition ?
Un récent article du magazine « The Economist » décrivait le mépris et les sarcasmes dont fut l’objet un orateur de UKIP lors d’une réunion à Cambridge. Le même article rappelait qu’en Grande Bretagne les attitudes de l’électorat vis-à-vis du Brexit sont très corrélées avec le niveau d’éducation. Plus son niveau d’études est élevé, et plus un électeur aura tendance à s’opposer au Brexit (et cela après avoir pris en compte d’autres facteurs, tels que l’âge ou la richesse). En France, après les élections de 2015, les Echos publiaient une étude montrant que 50% des non diplômés votaient pour le Front National, alors que cette proportion était de 29% parmi les diplômés du Bacc, et 16% parmi les diplômés de l’enseignement supérieur.
La corrélation entre positions politiques et niveau d’études provient-elle du fait qu’une meilleure formation permet de mieux comprendre l’inconsistance conceptuelle du populisme souverainiste ? Il faut certes une certaine capacité à l’abstraction pour comprendre les gains de l’échange permis par l’ouverture des frontières, ou la nécessité d’une autorité monétaire indépendante. Cependant, je pense que l’origine de cette corrélation n’est pas d’ordre cognitif mais bien économique.
La montée du populisme souverainiste, l’opposition à l’union européenne, à l’intégration économique, à l’ouverture des frontières reflètent l’angoisse de personnes fragilisées par la globalisation. Qui bénéficie professionnellement des nouvelles technologies et de la globalisation économique ? Ceux dont la formation et les compétences sont élevées. Leur productivité, leur « valeur de marché », sont accrues par ces mutations. Pour eux, l’ouverture économique est une opportunité. A l’inverse, les personnes dont le niveau de formation et les compétences spécifiques sont faibles sont menacées par la globalisation. Elles sont mises en concurrence avec la main d’œuvre de nombreux pays où le coût du travail est très bas.
Le modèle le plus simple dans lequel on obtient ce résultat peut être résumé de la manière suivante (pour une analyse plus approfondie voir Kremer et Maskin, Globalization and inequality, 2006). Considérons une économie simplifiée, avec deux pays : le Sud et le Nord, et deux types de travailleurs : qualifiés et non qualifiés. Supposons que dans le Nord la proportion de travailleurs qualifiés est élevée, alors qu’elle est faible dans le Sud. En régime autarcique, dans le Nord, la différence de rémunération entre travailleurs qualifiés et travailleurs non qualifiés est faible. Si on ouvre les frontières aux travailleurs et aux biens, alors dans le Nord, le salaire des travailleurs qualifiés augmente, et celui des travailleurs non qualifiés diminue.
C’est effectivement la tendance qu’on observe empiriquement. Une étude de l’OCDE (« Divided we stand : Why inequality keeps rising, OECD, 2011) a calculé l’évolution d’une mesure des inégalités de revenu (le coefficient de Gini). Entre 1985 et 2005, cette variable qui vaudrait 0 dans une société complètement égalitaire et 1 dans une société complètement inégalitaire, est passée de 0,29 à 0,316, en moyenne dans les pays de l’OCDE.
Il n’est ni efficace ni éthique de reprocher aux victimes de la globalisation de s’y opposer. Le bénéfice total pour la société de l’ouverture économique (ainsi que culturelle et intellectuelle) est supérieur à son coût total. Mais, pour que cette ouverture soit acceptable par tous, il faut en redistribuer les fruits. Il est donc nécessaire d’imposer ceux qui bénéficient de la globalisation, pour dédommager ceux qui en souffrent, par des actions de formation, des dispositifs d’assurance, des accompagnements à la reconversion.