Le rôle des ressources minières dans les conflits militaires sur le continent africain a provoqué beaucoup de spéculation scientifique, politique et médiatique. Il a même fourni un sujet pour le film Blood Diamond (2006, avec Leonardo DiCaprio).
Mais si le lien entre ressources minérales et conflits peut paraître évident, il ne suffit pas de constater que certaines régions du monde sont à la fois dotées de ressources et déchirées par des conflits. Ces régions pourraient avoir d’autres caractéristiques qui les rendent perméables à la violence. Et si l’idée que les « diamants de guerre » sont un moteur de violence est également séduisante, nous sommes loin de comprendre pourquoi l’envie de diamants est davantage capable d’induire des conflits armés que la convoitise de voitures de sport ou de villas sur la Côte d’Azur.
Une étude, qui vient d’être publiée par trois chercheurs français et un chercheur suisse dans la prestigieuse American Economic Review, nous permet de comprendre bien mieux comment les ressources peuvent stimuler le conflit (« This Mine is Mine ! How Minerals Fuel Conflicts in Africa », Nicolas Berman, Mathieu Couttenier, Dominic Roehner et Mathias Thoenig, American Economic Review, 2017, no 107/6).
L’influence des fluctuations de prix
Les auteurs ont construit une base de données qui apparie l’historique détaillée de conflits géolocalisés dans une grille de carrés de 55 kilomètres sur le continent africain entre 1997 et 2010, à des informations sur la localisation de mines qui produisent un total de quatorze ressources minérales différentes. La probabilité d’un conflit par zone et par an est d’environ 6 %, mais dans les zones où des mines sont actives, elle s’élève à 14 %.
Cette corrélation entre l’activité minière et les conflits est frappante, mais elle n’est pas concluante : elle pourrait être le résultat d’autres facteurs non observables, ou d’une causalité inverse (si, par exemple, un groupe armé prend le contrôle d’une mine et l’exploite pour augmenter ses revenus, comme l’ont fait la Sudan Liberation Army, à Hashaba, et le Revolutionary United Front, au Sierra Leone).
Pour éviter de tirer de fausses conclusions, les chercheurs analysent des chiffres détaillés sur les fluctuations de prix de ces quatorze ressources minérales sur le marché international, qui ont lieu indépendamment de ce qui se passe dans chaque zone minière. Ils constatent qu’après une hausse du prix international de la ressource principalement produite dans une zone, la probabilité d’un conflit augmente dans la zone en question, et se propage ensuite dans les zones voisines.
Corruption et clivages religieux
Entre 1997 et 2010, il y a eu une flambée mondiale des prix des ressources naturelles – le prix de l’or, par exemple, est monté de 338 à 1 048 dollars par once. Les auteurs estiment que cet essor des marchés a contribué à augmenter de 14 % à 24 % (selon différentes méthodologies d’estimation) les niveaux de violence observés dans les pays africains pendant cette période.
Il semble y avoir deux processus en jeu. D’abord, la hausse du prix rend la ressource plus attractive pour un groupe armé, ce qui provoque des conflits dans la zone minière. Ensuite, l’augmentation des revenus qu’elle permet pour le groupe victorieux facilite son expansion dans des territoires voisins. L’impact de la hausse de prix dépend aussi d’autres facteurs, il est ainsi plus important dans des pays marqués par la corruption ou par des clivages religieux.
Dans ce tableau sombre, il y a néanmoins des éléments encourageants : les compagnies étrangères, dont la présence est souvent associée à des zones de conflit intense, sont capables d’en influencer l’ampleur. Les chercheurs montrent notamment que les compagnies minières qui ont adopté des pratiques de responsabilité sociale sont associées à des niveaux de conflit plus bas. Ils montrent également que l’adoption de pratiques de traçabilité des minéraux a contribué à une modération de la violence induite par les augmentations du prix des ressources.
Ajouter un commentaire