Le lancement national de l'Appel pour un Lundi Vert ce premier lundi du mois de janvier a suscité d'innombrables échos favorables en France. Avancée par 500 personnalités, principalement du monde de la recherche, mais aussi des acteurs publics, artistes et sportifs, la proposition d'un remplacement hebdomadaire et volontaire de la viande et du poisson ambitionne d'initier une dynamique de végétalisation alimentaire dans une France dont la clé de voûte de la gastronomie demeure indéfectiblement la viande.
Les réactions défavorables relayées dans plusieurs médias et celles des représentants des éleveurs (FNSEA, confédération paysanne, coordination rurale) n'ont pas tardé à s'exprimer, confirmant en cela que le sujet est encore très clivant en France.
Un appel fondé sur la science
Alors que des initiatives similaires existent aujourd'hui dans plus de 40 pays, l'initiative française se conçoit comme une action doublement scientifique. L'Appel pour un Lundi Vert n'est pas seulement un coup médiatique. Il se présente comme un texte argumenté, assorti de références académiques qui fondent la démarche et permettent à ses lecteurs d'en discuter la pertinence. Un faisceau d'arguments relevant du domaine environnemental, sanitaire et éthique, est successivement mis en exergue.
A titre d'illustration de la solidité scientifique du sujet, citons deux études publiées en 2018 dans une revue scientifique majeure, "Science". Charles Godfray, de l'université d'Oxford et ses nombreux co-auteurs ont examiné un large panel d'études sur les impacts sanitaires et écologiques de la viande. Cet examen dresse un bilan inquiétant et conclut à l'impérieuse nécessité de végétaliser l'alimentation humaine.
Egalement à Oxford, Joseph Poore et son collaborateur ont mené l'étude à l'échelle mondiale la plus importante à ce jour sur les impacts écologiques de nombreux aliments (bœuf, poulet, porc, poisson, crustacés, lait, œufs, tofu, légumes, légumineuses, fruits, noix etc.) sur 5 dimensions : gaz à effets de serre, utilisation de terre et d'eau, eutrophisation et acidification. Cette étude démontre que tous les produits animaux, et pas seulement le bœuf, ont beaucoup plus d'impacts écologiques néfastes que les produits végétaux. Sa conclusion principale est qu'un changement des habitudes alimentaires pourrait générer des bénéfices à une échelle inatteignable par des changements de pratiques agricoles. Autrement dit, face aux impacts importants et multiples de l'élevage, agir sur les modes de production ne suffit pas.
Concernant les arguments sanitaires, de nombreuses sources dont l'Organisation mondiale de la santé insistent sur les inconvénients de l'excès actuel de consommation de viande dans les pays développés : cancers, diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, problèmes de résistance aux antibiotiques, et élévation du risque épidémique.
Le troisième volet qui fonde la démarche du Lundi Vert est la dimension éthique. Il est rappelé que la grande majorité des animaux en France sont élevés de manière intensive, c'est-à-dire dans des cages ou des endroits confinés sans accès extérieur. Or, la production et l'abattage d'animaux en masse sont inévitables si la consommation de produits animaux est maintenue à des niveaux aussi élevés. La production de poissons génère, elle aussi, de graves problèmes écologiques, et les acquis récents de l'éthologie laissent peu de doutes sur la souffrance de ces animaux marins lorsqu'ils agonisent à l'air libre.
Evaluer l'impact du Lundi Vert
Le Lundi Vert constitue également une opportunité unique d'observation du processus de changement alimentaire. Incités à se connecter à une plateforme Web (Lundi-Vert.fr), les participants sont invités à remplir une succession de mesures sociodémographiques, sociologiques et psychologiques destinées à comprendre le profil des inscrits (qui sera comparé à un échantillon représentatif de la population générale) ainsi qu'à repérer leurs motivations principales sur un tryptique environnement/santé/éthique animale.
Sur la base de critères statistiques, des messages d'accompagnement sur mesure (ajustés à ces profils) sont administrés chaque lundi par voie électronique, tandis que chaque mardi, les inscrits sont invités à indiquer sur un mode binaire s'ils ont ou non mis en œuvre le Lundi Vert la veille. Ce suivi de cohorte, unique dans la recherche contemporaine en nutrition, permettra de comprendre quels profils mettent durablement en œuvre un engagement de végétalisation hebdomadaire des repas à la suite de ce geste déclencheur, et les freins individuels, interpersonnels et contextuels qui interviennent dans cette évolution de routine alimentaire. Des études complémentaires seront aussi menées, notamment pour étudier si les effets sont compensés par une augmentation de consommation de chair animale les autres jours de la semaine.
L'initiative citoyenne, levier du changement
Les leviers du changement dans le domaine des comportements de santé ne sont pas illimités. L'option de taxation de la viande semble aujourd'hui difficile à défendre dans le contexte politique français, désormais durablement marqué par l'épisode des "gilets jaunes". D'autres mesures structurelles sont endossées avec une désespérante pusillanimité.
La tentative de verdissement de la politique agricole commune est globalement un échec. Alors que tous les gros secteurs émetteurs de gaz à effet de serre (transport, énergie, chimie, sidérurgie etc.) paient pour leur pollution, l'agriculture reste largement exemptée de régulation climatique. Les subventions de plusieurs milliards d'euros allouées chaque année au secteur de l'élevage contribuent à maintenir la viande à un prix bas dans un secteur très concurrentiel. Ainsi, la consommation de produits animaux est même indirectement encouragée par les pouvoirs publics. Enfin, la loi française est en retard sur l'opinion publique et sur les lois d'autres pays européens pour ce qui est de l'amélioration des normes de bien-être animal.
Pour toutes ces raisons, il est maintenant indispensable et urgent de développer une autre approche basée sur des initiatives citoyennes. Mais ce changement ne peut être que progressif et collectif. Progressif car nos habitudes alimentaires sont profondément enracinées dans notre histoire et notre culture. Elles forment aujourd'hui des normes sociales qui façonnent une hiérarchie alimentaire implicite dans laquelle la viande se taille la part du lion.
Mais les normes peuvent changer, comme cela a été le cas pour la fertilité et le tabac par exemple. Les normes alimentaires ont elles-mêmes beaucoup évolué dans les années 1960 quand les Français se sont tournés vers des aliments plus riches en sucres, en graisses animales saturées et des aliments usinés. Consommer tous les jours des produits animaux n'a rien de naturel ni de nécessaire, comme le rappelait le professeur Serge Hercberg, président du Programme national nutrition santé (PNNS), dans le contexte du lancement du Lundi Vert. Remplacer la viande et le poisson par des aliments d'origine végétale le lundi apparaît peu contraignant, et permet de reconsidérer les habitudes alimentaires au début de chaque semaine.
Un tel changement doit aussi être porté collectivement. Il est plus compliqué en pratique d'opter pour un menu végétarien en étant isolé, par exemple si ceux qui partagent notre repas mangent de la viande, ou si l'offre d'un restaurant ou d'une cantine n'est pas adaptée. Quand il s'agit de changer d'habitudes, il peut être utile de s'engager au préalable et que cet engagement soit régulièrement rappelé, et de se motiver les uns les autres, dans un esprit de découverte.
En se coordonnant sur un jour de la semaine, nous espérons ainsi aider au démarrage de ce processus vertueux dans la société, ainsi que dans le monde de la restauration. Par exemple, un premier pas vient d'être franchi dans la restauration universitaire de la communauté grenobloise. Nous sommes certains que l'urgence des enjeux environnementaux, la prise de conscience sanitaire et les préoccupations éthiques de nos concitoyens conduiront à reconsidérer tous les bénéfices et le plaisir que le monde végétal peut apporter à notre alimentation.
Tribune publiée dans L'OBS (Copyright ©)
Authors
- Nicolas Treich
- Laurent Bègue-Shankland