La levée de boucliers concernant la hausse du prix du carburant constitue un moment de vérité écologique. Conduire pollue, et cette pollution tue, et tuera pour plusieurs siècles en ce qui concerne le gaz carbonique. Le principe pollueur-payeur justifie que ces dommages soient intégrés au prix des carburants à la pompe. Ce principe a cette vertu qu’il incite les pollueurs à intégrer dans leurs décisions les dommages générés par leur émission de gaz carbonique comme s’ils en étaient eux même la victime. Il aligne les intérêts particuliers sur l’intérêt général.
On rappellera que, si rien n’est fait, nous atteindrons le seuil d’une augmentation de la température moyenne sur terre de 2°C d’ici 2038, et le temps des demi-mesures et de l’hésitation est largement passé. Nous savons qu’augmenter le prix du carbone est une politique efficace. Sans lien social fort, les consommateurs réagissent mieux aux « signaux prix » qu’à tout autre mécanisme d’incitation. Ainsi en Europe, où le prix de l’essence est en moyenne deux fois plus élevé qu’Outre-Atlantique, les voitures sont plus petites, plus légères et plus sobres, ce qui contribue à émettre moins de carbone par habitant. Et même s’il est vrai que certains automobilistes n’ont à court terme que peu de solutions alternatives, le prix élevé de l’essence modifie les habitudes de consommation et le choix des constructeurs à long terme.
L’argument relatif à la baisse du pouvoir d’achat n’est pas convaincant. Les revenus générés par cette fiscalité écologique doivent être recyclés dans l’économie, soit à travers la baisse d’autres taxes (comme celles qui pèsent sur le travail), soit pour financer d’autres politiques publiques efficaces. A ce propos, la plupart des économistes sont contre une imputation d’une recette fiscale à des dépenses spécifiques, comme par exemple des subventions en faveur de la transition énergétique. Il est préférable de laisser au gouvernement le soin de choisir les dépenses publiques qui génèrent le meilleur rendement social au gré de la conjoncture et des besoins, en tenant compte de la possibilité de réduire son train de vie s’il est à court de projets publics socialement désirables. Les doutes d’une partie de la population sur la légitimité du pouvoir à garder le contrôle de ses choix budgétaires est une mauvaise nouvelle pour notre démocratie.
Reste la lancinante question de la pauvreté. Le coût de l’énergie pèse relativement plus sur les populations moins favorisées, ce qui fait d’une taxe carbone un impôt qui accroît les inégalités. Il faut donc combiner la montée en puissance de ce mécanisme incitatif universel avec un renforcement des politiques (emploi, logement, éducation,…) favorables aux plus démunis dans ce pays, dès lors qu’elles ne distordent pas les incitations à réduire les émissions. L’alternative consisterait à abandonner nos ambitions climatiques, comme dans l’Etat de Washington où les électeurs viennent de retoquer à l’occasion des midterms une proposition visant à instaurer une taxe carbone. En termes de lutte contre la pauvreté, cet abandon serait encore pire, puisque l’on sait que ce seront les plus démunis sur cette planète qui seront aussi les plus vulnérables aux aléas climatiques.
Beaucoup de Français ont été frustrés par l’inaction de nos gouvernements successifs face aux enjeux du dérèglement climatique. Cette frustration est associée à l’idée que lutter contre celui-ci n’aurait que des bénéfices, écologiques comme économiques, en créant par exemple une myriade d’emplois verts nous permettant de sortir de l’ère du chômage de masse. Comme lors de l’échec de la contribution climat-énergie en 2008, on semble redécouvrir aujourd’hui que cette politique a un coût social qui n’est pas marginal. Il faut rappeler qu’il s’agit de sacrifier un petit peu de notre bien-être actuel pour éviter de faire porter aux générations futures des dommages climatiques sévères.
Notre gouvernement sera-t-il capable de résister au court-termisme de nombre de nos concitoyens plus attachés à la défense de leur pouvoir d’achat qu’à leurs responsabilités envers les générations futures ? Il est toujours dangereux de chercher à résister à la volonté du peuple, même quand cette volonté est moralement ou socialement discutable. Dans un monde où les arguments rationnels ont perdu leur pouvoir sur les opinions, gouverner est plus que jamais un art complexe.