S'il juge l'annonce de 10 milliards d'économies "inutile et dérisoire", le point crucial pour Frédéric Cherbonnier est de savoir si la France sera capable à terme de résorber sa dette.
L'annonce de 10 milliards d'euros d'économies supplémentaires faite par le gouvernement apparaît à la fois relativement inutile et dérisoire. Inutile, car la contrainte imposée à court terme par le nouveau pacte de stabilité européen repose sur le déficit dit "structurel", c'est-à-dire corrigé des effets du cycle économique.
Autrement dit: la France pourrait se permettre plus de déficit public en 2024 si la croissance était moindre que prévue, dès lors qu'elle tient son objectif d'effort "structurel" inscrit dans son programme de stabilité. Dérisoire, car si notre pays doit retrouver assez vite un excédent budgétaire, ce ne sont pas ces mesures de bouts de ficelle qui vont permettre de redresser la barre. Tout ceci est anecdotique et ne vient pas jouer un rôle déterminant dans l'appréciation des marchés quant à la soutenabilité de notre dette publique. Le point crucial n'est pas le déficit de cette année, mais de démontrer que la France sera capable à terme derésorber cette dette. Une question d'autant plus complexe que l'Etat fait face à de nouvelles exigences financières: revaloriser le salaire des soignants et enseignants, renforcer l'effort de recherche, adapter notre société au réchauffement climatique, augmenter certaines dépenses régaliennes comme celles liées à la défense et la justice.
Cette situation délicate a au moins l'avantage d'avoir fait comprendre à nos politiques que la solution ne passe pas par une simple compression des dépenses publiques stricto sensu, notamment de la masse salariale.
De fait, l'emploi public aurait augmenté de près de 60.000 salariés en 2023 sans que cela choque grand monde. Oubliées les promesses de certains candidats à la présidentielle de réduire de plusieurs centaines de milliers le nombre de fonctionnaires!
Comment réduire notre déficit dans ces conditions sans trop rogner sur notre modèle social? N'en déplaise à certains, la réponse passe sans doute au moins en partie par "plus d'impôts" ou plutôt "moins de réductions d'impôts"!
Certes, nos niveaux de dépenses et de prélèvements sont les plus élevés de l'Union européenne, mais cela résulte en partie de ce que près de 200 milliards d'euros de ces dépenses correspondent à des allègements de charges sociales et à des réductions d'impôts en partie inefficaces. A titre d'exemple, toutes les études convergent pour dire que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (et son extension grâce au pacte de responsabilité et de solidarité) n'aurait eu aucun impact sur l'investissement et la compétitivité et quasiment aucun effet sur l'emploi. Tout cela pour un coût annuel de plus de 30 milliards d'euros par an ! Le gouvernement s'est engagé timidement dans cette direction avec, par exemple, la suppression d'une niche fiscale, le dispositif Pinel, mais il ne doit pas s'arrêter en chemin.
L'autre piste est le "mieux d'impôt". En pratique, lorsque l'Etat français prélève 100 milliards d'euros, on considère qu'il en coûte à notre société 120 milliards d'euros. Ces 20 milliards d'euros supplémentaires, appelés "coûts d'opportunités des fonds publics" dans le jargon économique, reflètent les distorsions induites par l'impôt sur l'activité économique. En particulier, le financement de notre protection sociale repose principalement sur le travail, ce qui nuit à l'emploi. Les principes de fiscalité recommandent plutôt de taxer sur une base large (à l'instar de la CSG), de privilégier des impôts qui corrigent dans le bon sens certains comportements (comme la fiscalité environnementale) et de taxer des assiettes peu "mobiles" (tel que le logement et la terre).
Hélas, le gouvernement est très loin d'engager une telle démarche puisqu'il a au contraire baissé la fiscalité foncière puis gelé la taxe carbone sur les carburants depuis les "gilets jaunes", et très récemment renoncé à revenir sur les avantages fiscaux en faveur du gazole non routier.
Article paru dans Les Echos le 7 mars 2024
Illustration: Créateur : Kevin Smith