Les multiples « niches fiscales » qui mitent le rendement de la taxation sur les successions ne se justifient pas, selon Frédéric Cherbonnier. Selon l'économiste, il faudrait remettre à plat la fiscalité des transmissions au nom d'une véritable égalité des chances.
La fiscalité sur les successions a fait irruption dans la campagne électorale pour des raisons d'opportunisme politique : comme 9 Français sur 10 jugent cet impôt trop élevé, la plupart des candidats à la présidentielle proposent de l'alléger.
La réalité est tout autre : 1 euro hérité donne lieu en moyenne à 5 centimes de prélèvements, contre près de 30 centimes pour un revenu du capital et environ 50 centimes pour un revenu du travail. La logique serait de taxer chaque héritier en fonction du patrimoine reçu tout au long de sa vie à un taux progressif.
Le système actuel fait tout le contraire : le taux marginal d'imposition peut atteindre des niveaux très élevés pour de faibles montants transmis (60 % en ligne indirecte), mais une large partie des héritages échappe à toute imposition, à la fois en raison de nombreuses exemptions et exonérations (sur l'assurance-vie et sur la transmission d'entreprises notamment) car chaque transmission est taxée distinctement (d'où des stratégies d'optimisation fractionnant l'héritage en une succession de donations).
D'un point de vue des incitations, ces multiples « niches fiscales » ne se justifient pas. Les donations sont souvent présentées comme permettant d'accélérer la transmission du patrimoine aux jeunes générations, mais la majeure partie des héritages échappent au dispositif incitatif car sous le seuil d'abattement. A contrario, la perspective de recevoir une somme significative peut décourager le travail - hypothèse formulée par le milliardaire philanthrope Andrew Carnegie à la fin du XIXe siècle, confirmée par de récents travaux économiques. De même, les mesures en faveur dela transmission d'entreprise se justifient pour des TPE.
Mais ces exonérations concernent pour une large part des entreprises de taille significative pour lesquelles une cession est préférable à une transmission : de nombreuses études montrent qu'il vaut mieux, pour la santé de l'entreprise, que le chef d'entreprise passe la main à un dirigeant extérieur plutôt qu'à l'un de ses enfants. Faut-il pour autant maintenir, voire rehausser, cette fiscalité ? La question est de savoir si un tel impôt est efficace et permet une meilleure redistribution.
Il n'y a pas eu de progression très marquée des inégalités en France au cours des dernières années, tant au niveau du revenu que du patrimoine, mais nous serions l'un des pires pays développés en termes d'inégalités des chances.
Le système éducatif explique pour une large part cette situation, mais les héritages y contribuent en venant perpétuer des inégalités existantes. Or, les flux de transmissions annuelles, en point de PIB, ont doublé en l'espace de trente ans.
Tout cela explique que de nombreux rapports, depuis France Stratégie en 2017jusqu'au récent travail du Conseil d'analyse économique, proposent de remettre à plat et renforcer la fiscalité des transmissions. Le prélèvement supplémentaire pourrait être redistribué à chaque jeune lorsqu'il atteint la majorité, par exemple sous la forme d'un capital formation. Et l'abaissement de la fiscalité sur les transmissions indirectes permettrait à davantage de Français de bénéficier d'un capital en début ou milieu de vie.
Pour « mieux taxer » sans davantage taxer, comme le suggère le rapport Tirole-Blanchard, il faut se saisir de telles idées pour repenser notre fiscalité. Hélas, aucun de nos candidats à la présidentielle n'y semble prêt, chacun proposant des modifications à la marge susceptibles de plaire à son électorat.
Article publié dans Les Echos le 10 mars 2022. Copyright Les Echos.fr
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