Sommes-nous condamnés à une flambée des énergies fossiles? Tout dépend de notre capacité à enclencher de façon crédible la transition énergétique.
Malgré l'aide à l'achat de carburant de 15 centimes par litre, le prix de l'essence SP95 à la pompe a augmenté de 25 centimes en six mois, et de 60 centimes en un an. Ce choc de prix est extrêmement violent, en particulier pour les ménages les plus modestes. S'il devait se maintenir durablement, cela devrait avoir un impact tout aussi fort sur la consommation d'essence. Les entreprises et les ménages réagiront à ce choc pétrolier comme durant le dernier quart du siècle dernier, en partant à la « chasse au gaspi » : achat d'une voiture énergétiquement plus effi-cace, baisse du thermostat, électrification du chauffage ou pompe à chaleur. Les économistes estiment que sur le long terme, une hausse du prix de l'énergie de 10 % réduit la consommation d'énergie de 8 %. Le signal prix, ça marche!
Les pays producteurs d'énergies fossiles, et en particulier la Russie pour le gaz naturel, n'ont que partiellement répondu à la hausse de la demande occidentale consécutive à la sortie de la pandémie, causant cette hausse de prix. La tentative de la plupart des pays consommateurs d'amortir l'impact de cette hausse sur les ménages par une baisse des taxes n'a fait que l'exacerber en bloquant l'ajustement du marché, poussant les prix encore plus à la hausse. En soutenant la demande, cette politique n'a conduit qu'à un transfert encore plus massif de richesse de l'Europe vers les pays pétroliers, en particulier la Russie. L'embargo européen sur le pétrole russe n'aura pour effet que de changer les flux de transports, la Chine et l'Inde s'approvisionnant en Russie plutôt qu'au Proche-Orient, les Européens récupérant la production de ces derniers.
Sommes-nous donc condamnés à la cherté des énergies fossiles dans les décennies à venir? La réponse à cette question dépend de notre capacité à enclencher de façon crédible la transition énergétique au niveau mondial. Le dernier rapport du Giec nous dit que pour respecter l'engagement de 2 °C, nous ne pourrons pas émettre plus d'un millier de gigatonnes de CO2 au XXIe siècle. Si nous décidions de consommer l'ensemble des réserves prouvées de combustibles fossiles sur Terre, nous émettrions plus de 20 fois ce « budget carbone ». Si nous étions crédibles sur notre ambition climatique collective, il ne faudrait donc ne consommer qu'un vingtième de ces réserves, lesquelles font l'essentiel de la richesse de nombreux pays pétroliers.
Or la valeur d'une ressource dépend de sa rareté. Celle du pétrole a fortement marqué les esprits après le rapport du Club de Rome il y a cinquante ans. Elle a soutenu les prix sur les marchés. Mais la lutte contre le changement climatique nous oblige à une transition énergétique rapide, qui devrait en théorie faire partir en fumée cet effet de rareté, obligeant les producteurs à laisser le pétrole sous terre. En théorie encore, les pays pétroliers devraient alors tous tenter de vendre leurs réserves avant qu'il ne soit trop tard, inondant le marché de pétrole et faisant drastiquement chuter les prix. La réalité est cependant tout autre, et cela appelle deux conclusions.
La première est que les marchés ne croient pas à cette transition rapide. La seconde est qu'on ne peut pas parier sur cette transition sans une politique de tarification du carbone crédible. Or le Parlement européen vient de refuser la proposition de la Commission d'un mécanisme de prix du carbone pour les consommateurs en même temps qu'il va interdire les voitures thermiques neuves en 2035. On pourrait alors se retrouver en 2034 avec un prix de l'essence à la pompe très faible grâce à l'éclatement de l'Opep que cette transition engendrerait, tout en obligeant les consommateurs à acheter des véhicules électriques. Ce sera un cauchemar politique, où les gilets jaunes de 2018 nous apparaîtront comme de paisibles piqueniqueurs du samedi.
Les politiques climatiques fondées sur les interdits ou les normes posent bien plus de difficultés économiques, sociales et politiques que celle fondée sur un prix du carbone unique avec redistribution du revenu fiscal vers les ménages les plus modestes. D'autant que cette taxe carbone forcera les pays pétroliers à baisser leur prix pour concurrencer les énergies renouvelables occidentales. Notre politique climatique européenne mérite mieux que le dilettantisme, la démagogie ou la naïveté.
Publié dans L'Express, n°3703, le 23 juin
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