Peut-être le gouvernement a-t-il raison politiquement de choisir avec cynisme de cacher les coûts de la transition écologique, se demande Frédéric Cherbonnier, mais ce choix ne doit pas conduire, selon lui, à mettre en oeuvre une stratégie inefficace ou progressivement abandonnée pour des raisons budgétaires.
Le gouvernement tient un discours particulièrement lénifiant en matière de transition écologique, avec sa formule selon laquelle celle-ci serait "bénéfique pour tous". Un tel propos pose deux problèmes sérieux.
Le premier est d'ordre financier. L'Etat ne se donne pas les moyens de mener à bien cette transition écologique dès lors qu'il se refuse à pénaliser quiconque, en particulier de taxer les pollueurs ou de faire un prélèvement exceptionnel sur le patrimoine des plus aisés - à l'instar de ce qu'ont proposé les économistes Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry.
La stratégie française face au réchauffement climatique exige en théorie d'y consacrer de l'ordre de 1 point de PIB par an. Une somme considérable mais a priori politiquement réaliste. Or la situation budgétaire de notre pays ne lui permet pas de dégager de telles marges de manoeuvre, sauf à trouver de nouvelles sources de financement. Fait notable à cet égard, l'écologie est le poste le plus touché par le récent décret visant à réduire les dépenses publiques de 10 milliards d'euros.
Vindicte hypocrite
Le second problème tient à l'efficacité d'une démarche cherchant à éviter toute contrainte directe sur la demande. L'exemple le plus flagrant est donné par la vindicte jetée sur les projets d'extraction des énergies fossiles d'entreprises comme Total, ou à l'encontre des banques qui les financent. Il est à la fois très hypocrite et vain de vouer aux gémonies ces acteurs économiques qui nous permettent de nous chauffer durant l'hiver. De tels projets perdureront tant que la demande pour ces énergies restera forte, en particulier de la part du consommateur européen. Et si ce ne sont pas des entreprises françaises qui les mènent à bien, d'autres s'en chargeront!
Au niveau du gouvernement, on retrouve une telle approche en matière de rénovation énergétique des bâtiments. Plutôt que de contraindre les propriétaires de logement, l'Etat français ainsi que ses partenaires européens préfèrent forcer les fournisseurs d'énergie à engager de tels travaux.
Ces entreprises comme EDF ou Total se voient ainsi obligées, afin d'acquérir des "certificats d'économie d'énergie", de faire appel à une armée de sous-traitants pour réaliser des travaux chez leurs clients. Un vrai tour de passe-passe qui laisse à penser que tout ceci est à la charge de ces grandes entreprises, alors qu'in fine les coûts se retrouvent répercutés via une hausse des prix de l'énergie sur le consommateur final - qu'il ait bénéficié ou non de ces travaux de rénovation.
Plus grave, ce mécanisme est très inefficace. La raison principale tient à la grande disparité entre travaux de rénovation du point de vue de la rentabilité économique.
Pour certains d'entre eux, les ménages gagneraient à les engager même en l'absence de subvention - le problème tient alors davantage à une difficulté d'accès au crédit pour les plus modestes. D'autres travaux ne valent pas la peine d'être engagés car trop coûteux au regard des réductions d'émissions de dioxyde de carbone en jeu.
Faute d'un ciblage adéquat, les investissements induits par cette politique de certificats d'économie d'énergie (près de 4 milliards d'euros par an) conduisent à un résultat bien inférieur à celui espéré (3 à 5 fois moindre sous des hypothèses plutôt optimistes). Des contraintes pesant directement sur les propriétaires de logements présentant une mauvaise performance énergétique, selon le type de chauffage en place, semblent bien plus efficaces.
Qu'en conclure? Peut-être le gouvernement a-t-il raison politiquement de choisir avec cynisme de cacher les coûts de la transition écologique, et de renoncer aux mécanismes les plus efficaces (comme la taxe carbone), mais ce choix ne doit pas conduire à mettre en oeuvre une stratégie inefficace ou progressivement abandonnée pour des raisons budgétaires.
Article paru dans Les Echos le 10 avril 2024
Illustration: Photo de Thomas Reaubourg sur Unsplash