L’agitation politique de l’année dernière, qui a abouti à la victoire triomphante d’Emmanuel Macron aux élections, a souvent accaparé la une des journaux au détriment du développement international. Mais le Brexit et l’isolationnisme de Donald Trump ont offert à la France et à l’Europe l’opportunité de changer la donne et d’occuper le devant de la scène internationale, comme l’indique Stéphane Straub, économiste de TSE et de la Banque mondiale.
Le nouveau gouvernement américain revient sur les engagements pris au profit d’organisations multilatérales et met un terme au soutien apporté aux projets d’aide. En parallèle, le Brexit portera sans doute un coup au DFID, le département du développement international du Royaume-Uni largement reconnu comme l’un des meilleurs dans son domaine. Cette situation pourrait représenter pour la France et l’Union européenne une opportunité historique d’occuper le devant de la scène. Les enjeux sont importants compte tenu de la nécessité de trouver des solutions aux conflits déstabilisants et aux déplacements massifs des populations, tout particulièrement dans les régions environnantes en Afrique et au Moyen-Orient.
Combattre la pauvreté
La question de l’efficacité des aides au développement a fait naître quelques controverses qui ne sont pas prêtes de disparaître. Personne aujourd’hui ne peut se contenter de politiques vagues, comme l’objectif 0,7 % de l’ONU, qui veut qu’une petite fraction du PIB national soit investie dans l’aide internationale. De tels engagements ne sont que rarement respectés, et l’équation du développement est bien trop complexe pour être résolue en reversant simplement notre argent dans des régimes inefficaces et corrompus.
Il est nécessaire de mettre en œuvre une politique de développement moderne pour la France et l’Europe, capable avant tout de reconnaître que le développement ne peut se faire sans un état puissant et efficient offrant aux agents économiques le cadre juridique, réglementaire et institutionnel qui les fera prospérer.
Il s’agit là d’une condition sine qua non pour répondre à l’énorme besoin en infrastructures visant à améliorer la fourniture en eau et en électricité, l’assainissement, le transport, l’éducation et la santé dans les pays en voie de développement.
Solutions miracles vs efficience ciblée
Dans un second temps, les organismes de développement ne devraient pas se laisser influencer par la tendance actuelle qui veut que l’on cherche à attirer le secteur privé pour financer des projets comme la construction de réseaux routiers, d’égouts ou d’énergie. Se servir des maigres fonds publics et des fonds accordés à des conditions préférentielles pour exploiter des milliards et des milliards de dollars issus de caisses de retraite et d’autres investisseurs institutionnels est présenté comme la solution miracle pour répondre au défi de la pauvreté.
Il est vrai que les acteurs du secteur public et du secteur privé peuvent jouer des rôles importants et complémentaires pour faire avancer des projets, que ce soit pour distinguer les bons des mauvais ou suivre leur mise en œuvre. Mais le secteur privé ne fournit qu’environ un dixième des investissements en infrastructure dans les pays en voie de développement.
Dans un rapport de la Banque mondiale publié récemment, mes collègues et moi-même soutenons que la véritable source de ressources financières, humaines et institutionnelles se trouve dans les secteurs publics usés et inefficaces. En fonction des calculs, accroître l’efficience de chaque dollar dépensé par les secteurs publics de seulement 10 % reviendrait à doubler les investissements privés.
Nous démontrons également que des mesures ciblées destinées à pallier les déficiences du marché qui gangrènent les pays en voie de développement, de la construction à la livraison de services, peuvent avoir des effets disproportionnés sur l’efficacité des politiques. Contribuer à la sécurisation de ces améliorations doit être la priorité des organismes de développement.
Apprendre de nos erreurs
Enfin, les organismes de développement doivent également favoriser les synergies qu’ils développent avec les instituts de recherche afin de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Ces dernières années, les économistes spécialisés dans le développement ont parfait toute une gamme d’outils plus utiles les uns que les autres. L’expertise académique, combinée à l’expérience des organismes de développement, sera essentielle à l’élaboration de réformes internes et de mesures d’incitation, et permettra de choisir et de mettre en œuvre des projets avec plus d’efficience.
Les leçons tirées de nos erreurs, par le biais de politiques et d’évaluations basées sur les faits, peuvent représenter un énorme avantage pour les décideurs politiques, les chercheurs et les partenaires dans ce monde en développement. Elles génèrent également des retombées bénéfiques contribuant à la résolution des problèmes rencontrés dans les pays développés, qui ne connaissent que trop bien la pauvreté et les inégalités.
Il est temps pour la France et pour l’Europe de saisir l’opportunité qui leur est offerte de repenser le développement international, de perfectionner leur propre sécurité, d’accroître leur prestige et d’améliorer les conditions de vie des plus vulnérables.