La COP 21 se devait de déboucher sur un accord efficace, juste et crédible. Mission accomplie ? L’accord annoncé est ambitieux. L’objectif à atteindre est maintenant « bien en dessous des 2 °C » et le monde devrait ne plus produire d’émission de gaz à effet de serre (GES) en net après 2050 ; les fonds dédiés aux pays en voie de développement dépasseront après 2020 les 100 milliards de dollars par an qui avaient été décidés à Copenhague en 2009. Malheureusement, dans les faits, le compromis est bien en deçà de l’ambition.
Question efficacité dans la lutte contre le réchauffement climatique, la tarification du carbone, recommandée par la très grande majorité des économistes et de nombreux décideurs, mais chiffon rouge pour le Venezuela et l’Arabie Saoudite, a été enterrée dans l’indifférence générale par les négociateurs, compromettant sérieusement la réalisation de l’objectif climatique, comme le note la Fondation Nicolas Hulot.
Et pourtant, il faut un prix universel du carbone compatible avec l’objectif des 1,5 ou 2 °C. Les propositions visant des prix différenciés selon les pays non seulement ouvrent une boîte de Pandore (qui paiera quoi ?) mais surtout ne sont pas écologiques. La croissance des émissions viendra des pays émergents et pauvres, et sous-tarifer le carbone dans ces pays ne permettra pas d’atteindre l’objectif ; d’autant qu’un prix élevé du carbone dans les pays développés encouragera la localisation des productions émettrices de GES dans les pays à bas prix du carbone, annihilant ainsi les efforts faits par les pays riches.
Question justice, les pays développés n’ont pas détaillé les contributions aux pays en voie de développement (PVD) et ont laissé trop de place au volontariat ; or les promesses collectives ne sont jamais tenues. Il serait important que ces transferts soient spécifiés et constituent des transferts additionnels, et non de l’aide déjà existante redirigée vers des projets verts, des prêts ou l’allocation de revenus incertains.
Et que dire de la crédibilité ? L’accord repousse à une date ultérieure un engagement concret des pays à réduire leurs émissions. La stratégie attentiste des engagements volontaires de réduction des émissions (INDC) l’a emporté. Les engagements ne sont pas comparables, ils sont insuffisants, ils seraient coûteux s’ils étaient appliqués, et il y a fort à parier que, non contraignants, ils ne seront pas mis en œuvre de toute façon (les promesses n’engageant que ceux qui les écoutent).
La négociation sur la transparence a elle aussi été un échec. Il est difficile de comprendre pourquoi les pays du Sud ne seraient pas soumis au même processus de suivi, notification et vérification que les autres ; les pays du Nord doivent être généreux, pas fermer les yeux. Enfin, l’idée que l’on adoptera une trajectoire plus vertueuse, par des révisions tous les cinq ans des ambitions, ignore ce que les économistes appellent l’effet de cliquet : sommes-nous si sûrs qu’un pays se mettra à l’avenir en meilleure position de négociation en respectant allègrement ses promesses plutôt qu’en « traînant la patte » ? On demande toujours plus au bon élève.
Trois échecs ? En fait un seul. Il est vain de chercher à obtenir des pays développés des engagements ambitieux sur le fonds vert, sans que ceci ne débouche en contrepartie sur un mécanisme capable d’atteindre les objectifs climatiques. Et on ne peut demander aux pays du Sud de faire les efforts nécessaires sans une compensation crédible. C’est un jeu qui se joue à deux.
Et maintenant ?
Ce tableau sombre ne devrait quand même pas occulter les causes d’optimisme. Tout d’abord, la prise de conscience dans les opinions publiques a progressé depuis quelques années. Ensuite, tous les pays présents à la COP21 ont présenté des trajectoires de leur pollution, contrairement à ce qui avait été fait à Kyoto en 1997 : c’est un progrès symbolique.
Enfin, plus de 40 pays, et non des moindres (Etats-Unis, Chine, Europe...) ont aujourd’hui des marchés de droits d’émission négociables, certes avec des plafonnements beaucoup trop généreux et donc des prix du carbone très bas, mais démontrant leur volonté d’utiliser une politique rationnelle de lutte contre le réchauffement climatique. Ces bourses de carbone pourront un jour être reliées entre elles pour former un marché mondial plus cohérent et plus efficace, même si la question des « taux de change » (*) sera épineuse. Il faudra construire sur ces dynamiques.
S’il est important de maintenir un dialogue au niveau mondial, le processus onusien a montré ses très prédictibles limites. Négocier entre 195 nations est incroyablement complexe. Il faudrait arriver à créer une « coalition pour le climat », comprenant au départ les grands pollueurs actuels et à venir. Je ne sais pas s’il doit s’agir du G20 ou d’un cercle plus restreint (par exemple, les cinq plus gros pollueurs, l’Europe, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et l’Inde, représentant 65 % des émissions mondiales).
Les membres de la coalition pèseraient sur l’Organisation mondiale du commerce, qui pourrait alors autoriser, pour cause de dumping environnemental, une taxe aux frontières vis-à-vis des pays refusant d’imposer le prix du carbone qui permettra de réaliser l’objectif climatique.
Il convient enfin de simplifier la négociation en sériant ce qui est simple et donc devrait être acté, et ce qui devrait être le vrai objet de la négociation. La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas un problème économique (« on sait faire »), mais un problème géopolitique.
Les questions difficiles, mais incontournables, sont celles du respect des accords et, encore plus, des transferts financiers entre pays. Arrêtons de tourner autour du pot.
Article publié sur l'Opinion
* Il faudra savoir si un droit d’émettre une tonne dans un système équivaut au même droit dans un autre système. Les pays les plus vertueux, ayant émis moins de droits, risqueraient alors de se sentir lésés.