La politique chinoise de l’enfant unique, dont la disparition a été annoncée le 29 octobre par Pékin, était critiquée depuis son lancement, à la fin des années 1970, pour son caractère répressif. Elle l’était aussi pour son inutilité, puisque la natalité des Chinois avait déjà chuté de 5,9 enfants par femme, en 1970, à 2,9 enfants par femme, en 1979. Elle aurait probablement baissé presque autant sans cette politique.
Mais, comment estimer ce qu’aurait été le comportement volontairement choisi par les Chinois sans cette politique ? Dans la mesure où elle n’a pas été appliquée dans tout le pays avec la même sévérité, cette variation permet d’estimer la variation des comportements en fonction de la lourdeur des sanctions.
Marjorie McElroy et Dennis Tao Yang ont publié, en 2000, une étude importante utilisant cette méthodologie (« Carrots and Sticks : Fertility Effects of China’s Population Policies » « La carotte et le bâton : les effets sur la fertilité des politiques sur la population chinoise », American Economic Review, Papers & Proceedings, n° 90/2).
Les auteurs ont constaté que les pénalités financières étaient en moyenne déjà sévères pour les familles, qui ont eu un enfant non autorisé (plus de 40 % du revenu annuel), mais aussi que le taux de natalité a été plus faible dans les régions où les pénalités ont été plus sévères que la moyenne. Il semble, donc, que ces pénalités ont eu une incidence sur les comportements. Cette conclusion est renforcée par le fait que le phénomène d’une plus faible natalité chez les femmes éduquées, observé partout dans le monde, ne l’est pas en Chine, ce qui semble montrer que les femmes moins éduquées ont bien été contraintes par cette politique.
Pénalités financières
Mais cette incidence sur les comportements, bien que réelle, est statistiquement faible. Un doublement des pénalités est associé à une baisse de natalité de 0,33 enfant par femme en moyenne, soit seulement un dixième de la baisse observée en Chine pendant les années 1970…
Voici comment la politique a pu être à la fois répressive et peu efficace : la natalité aurait baissé de toute façon, même si, autour d’une natalité moyenne, il peut y avoir des variations des comportements souhaités. Pour les gens qui souhaitent avoir plus d’un enfant, l’envie peut être si forte que seules des pénalités importantes parviennent à les décourager !
Cette étude ne prend en compte que les pénalités financières : il y a eu aussi des avortements forcés, des naissances non déclarées avec des risques importants pour la santé de la mère comme pour celle de l’enfant. Une étude, au Sichuan, en 1990, avait montré un doublement de la mortalité maternelle pour les naissances non déclarées.
D’autres études confortent cette interprétation. Mark Rosenzweig et Junsen Zhang ont publié, en 2009, une étude qui estimait l’incidence de la politique de l’enfant unique sur l’investissement dans l’éducation. Il ne suffisait pas de regarder si les couples qui ont moins d’enfants investissent davantage pour l’éducation de chacun, car ceux qui limitent volontairement les naissances ne ressemblent pas forcément aux autres. Les auteurs ont comparé les comportements de parents de
jumeaux aux comportements d’autres parents – car le fait d’avoir des jumeaux est imprévisible et peut les faire considérer comme un échantillon « neutre ». Ils ont, eux aussi, constaté que l’incidence de la politique de l’enfant unique sur l’investissement éducatif, bien que réelle, est également faible. C’était un outil bien lourd pour un si petit résultat.