Depuis le début de l'année, le prix des émissions de CO2 a été multiplié par 2. Une bonne nouvelle pour le climat.
On n'en parle pas beaucoup, mais un fait majeur de l'année 2021 sera la hausse vertigineuse du prix des permis d'émission de CO2 sur le marché européen. Celui-ci est passé de 30 à plus de 60 euros par tonne de CO2 sur les huit premiers mois de l'année, du jamais vu. Produire de l'électricité avec du charbon, ou de l'acier et du ciment avec les technologies carbonées traditionnelles coûte maintenant beaucoup plus cher dans l'Union.
L'idée est bien sûr d'inciter les producteurs de l'UE à choisir des modes de production moins carbonés. On s'attend à ce que le charbon sorte rapidement du mix électrique européen, ce qui aurait un impact majeur sur nos émissions, bien avant le calendrier de sortie du charbon de l'Allemagne et de la Pologne, promise pour la fin de la décennie prochaine! Cette énergie représente plus de 40 % et 70 % de la production électrique, respectivement, dans ces deux pays!
C'est l'anticipation d'un renforcement des politiques européennes de réduction des émissions de CO2 qui est à l'origine de ce phénomène. L'objectif de réduction d'un tiers de ces émissions (-55 % en tout depuis 1990) entre aujourd'hui et 2030 est extrêmement ambitieux et va nécessiter des transformations radicales de nosmodes de consommation et de production. Cette politique va mécaniquement augmenter les coûts d'abattement du CO2 le prix payé par l'entreprise ou la collectivité pour éviter l'émission d'une quantité donnée de CO2 dans les années à venir. Dans un rapport de 2019, les experts français ont estimé qu'il faudra réaliser en 2030 tous les efforts qui coûteront moins de 250 euros par tonne de CO2 évitée afin d'atteindre cet objectif. En d'autres termes, il faudrait que l'Union impose un tel prix à l'ensemble des émetteurs européens pour les inciter à réagir. Mieux vaut donc faire les efforts à 60 euros par tonne de CO2 aujourd'hui pour économiser les permis d'émission qui vaudront tant à l'avenir! D'autant que l'Europe n'a visiblement pas l'intention de fléchir à ce sujet. Cet été, la Commission européenne a dégainé un pacte vert qui vise notamment à généraliser la tarification du carbone aux secteurs qui ne sont pas couverts (transports, résidentiel, maritime, aviation), à faire monter le prix du carbone sur le continent, et à lutter contre le dumping environnemental du reste du monde par des « ajustements carbone aux frontières » de l'UE.
Au moment où l'administration Biden ne cherche qu'à investir dans d'hypothétiques nouvelles technologies, l'Europe est la seule région du monde à allier la parole aux actes. Du point de vue de l'efficacité et de l'intérêt général, le pacte vert est un excellent projet, surtout si les revenus engendrés par cette fiscalité du carbonesont redistribués aux ménages de manière à ne pas augmenter la pression fiscale globale. En ciblant les plus modestes, ce projet pourrait même oeuvrer contre le changement climatique et la réduction des inégalités! On verra comment ce pacte vert survit aux égoïsmes nationaux au cours des négociations à venir. Comme la France a un mix électrique essentiellement décarboné, nos opérateurs électriques vont améliorer leurcompétitivité grâce à la hausse anticipée du prix du carbone. Par ailleurs, les consommateurs français sontprotégés de l'émergence d'un prix du carbone européen dans le transport et le résidentiel puisqu'ils paient déjà ce prix à travers notre taxe carbone nationale (qui serait évidemment supprimée).
En exportant sa tarification carbone à l'ensemble de l'Union, la France a beaucoup à gagner, dans la lutte contre le dumping environnemental intra-européen (les camions qui font le plein dans les pays limitrophes) comme dans la crédibilisation de notre ambition climatique collective. S'il est assez simple de comprendreque les Polonais ont beaucoup à perdre avec le pacte vert, il est pénible de constater que la peur de certaines minorités conservatrices superactives fasse l'alpha et l'oméga de la politique dans notre pays. Le courage politique voudrait que, dans le débat qui s'annonce, l'abandon de tout élément du pacte vert soit compensépar une autre action à réduction équivalente d'émission de CO2. Ceux qui se refuseraient à cette discipline devraient reconnaître qu'ils ne soutiennent pas l'ambition climatique européenne.
Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics, coauteur des 4e et 5e rapports du Giec (2007, 2014)
Article paru dans L'Express le 23 septembre 2021, n°3664
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