Stéphane Villeneuve travaillait en finance mathématique quand il a rencontré Jean-Paul Décamps, Thomas Mariotti et Jean-Charles Rochet qui l’ont convaincu de rejoindre TSE, “ils m’ont montré qu’il existait de très beaux problèmes mathématiques en économie industrielle” explique-t-il. “L’économie industrielle prend en compte de manière systématique les frictions inhérentes au monde réel alors que la finance mathé- matique repose sur un modèle théorique de marché au fonctionnement parfait”.
Les économistes toulousains étudient notamment les frictions dues à l’asy- métrie d’information et à l’aléa moral, on parle aussi de risque moral, par exemple quand un assureur ne peut pas vérifier les efforts de prévention faits par l’assuré. “J’étudie des problèmes dynamiques de type principal-agent de manière quan- titative. Cette approche quantitative lie probabilités, théorie du contrôle et optimi- sation et cherche à décrire les contrats de manière explicite ou à défaut de manière
numérique”. Ces questions touchent de nombreux domaines : assurance, gestion de portefeuille et décisions d’investissement.
Des bonus-malus pour les managers
Le chercheur a en particulier travaillé avec ces outils quantitatifs sur les questions de rémunération des managers et de refi- nancement des entreprises : “en ce qui concerne la rémunération des managers, nos résultats confirment l’optimalité d’une approche de bonus-malus. L’idée est de bloquer la rémunération des managers dans un compte séquestre qui évolue au gré des performances. Le manager reçoit une rémunération seulement après l’ob- servation d’une assez longue période de succès. A contrario, son périmètre d’action est réduit après de mauvais résultats afin de limiter les pertes liées aux décisions du manager.”
Pour ce qui est du refinancement des entreprises, Stéphane et ses coauteurs montrent que celles-ci ont chacune un seuil de réserves liquides à partir duquel il est dans leur intérêt de verser des dividendes aux actionnaires. Ce niveau tampon de réserves liquides permet d’éviter d’avoir à faire appel au coûteux marché du refinan- cement au cas où par exemple, de nouvelles opportunités d’investissement apparaî- traient. Stéphane a notamment travaillé avec EDF R&D dans la construction d’outils de gestion des politiques d’investissement, “EDF voulait comprendre comment une meilleure gestion de leur réserve d’actifs liquides pouvait les aider à financer leurs colossaux investissements nucléaires.”
Des algorithmes obscurs
L’approche dynamique et quantitative de l’économie industrielle sur laquelle Stéphane travaille a un très grand avantage : elle permet la caractérisation analytique des contrats optimaux au moyen d’équations aux dérivées partielles qui nécessitent cependant des approches numériques lorsque le modèle se complexifie. Stéphane milite pour que les méthodes numériques utilisées en économie et en finance soient plus transparentes “de nombreux auteurs ne donnent pas le code ou même la des- cription de l’algorithme qui leur permet d’obtenir leurs résultats numériques rendant ainsi leurs travaux opaques.” Le chercheur souhaiterait ainsi qu’un plus grand nombre de revues fasse un travail de vérification des méthodes numériques utilisées afin de prévenir des erreurs d’approximation ou de simulation. Il note cependant des progrès “certaines revues ont commencé à exiger la description précise des méthodes numériques et la fourniture des codes de calcul avant de publier des articles de recherche, c’est un bon début.”
Extrait du TSE Mag#17 Eté 2018