Comment êtes-vous arrivé à TSE ?
J'ai terminé mon Doctorat à l’Université de Chicago après avoir obtenu un Master à l’ESSEC et à l’Université de Cergy. Je suis ravi de rejoindre TSE et son excellent corps professoral. Je suis en particulier impatient de collaborer avec Mohamed Saleh, un collègue historien économique.
Que pouvez-vous nous dire sur la culture ?
Mesurer la culture est un processus extrêmement complexe, en particulier lorsque l'on pense à la façon dont elle émerge et évolue au fil du temps. Un de mes projets de recherche, en collaboration avec Estefania Santacreu-Vasut (ESSEC) et Daniel Hicks (Oklahoma), étudie si le langage, et en particulier l’omniprésence des distinctions de genre dans la grammaire, peut aider à expliquer les différences de comportement économique des femmes dans différentes cultures. Nous pensons que les structures de langage reflètent des différences culturelles profondes. Nos résultats soulignent que les femmes qui parlent des langues avec une forte distinction des genres ont plus de chances de ne pas travailler. En d'autres termes, le langage peut être un marqueur culturel. Nos recherches actuelles visent à déterminer comment et pourquoi ces structures ont émergé, et comment elles peuvent refléter les structures sociales des sociétés prémodernes.
Vous avez également travaillé sur les effets de la Première Guerre mondiale ?
La Grande Guerre a été une période très dure pour l’Europe, et en particulier pour la France, avec la perte de plus d’1,3 million de soldats français. Pour capturer l’intensité de la guerre au niveau local, j’ai réuni les dossiers militaires individuels de tous les soldats français décédés. Dans « The Missing Men », je montre que les régions ayant subi le plus de pertes pendant la guerre ont connu une augmentation de leur main d’œuvre féminine après la guerre. La plupart de ces femmes n'arrivaient pas à trouver un mari convenable et ont commencé à travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles. De façon similaire, les veuves de guerre ont dû se mettre à travailler car les aides étaient très faibles, du moins jusqu’au début des années 30.
Quel est le lien avec la culture ?
Cet épisode historique nous permet de mieux comprendre le processus de changement culturel. Dans « The Legacy of the Missing Men », j’explique que le phénomène des femmes poussées à rentrer sur le marché du travail après la guerre a entraîné une modification des préférences et croyances liées au travail des femmes chez leurs enfants et leur famille, et que ces changements s’étaient retrouvés dans le comportement professionnel des femmes des générations suivantes. Dans le prolongement de cette idée, je trouve que l’impact de la Première Guerre mondiale est toujours présent aujourd’hui. Par exemple, une femme dont la grand-mère ou l’arrière-grand-mère a travaillé en raison de la guerre a plus de chances de travailler aujourd’hui et d'avoir une vision plus progressiste des rôles liés aux genres. Nous observons également un impact similaire, bien que plus faible, sur les attitudes des hommes dont la grand-mère ou l’arrière-grand-mère a travaillé après la guerre.
Quels sont vos projets futurs ?
En ce moment, j’essaie de trouver des façons innovantes de mesurer les croyances des individus au cours de l’histoire. Par exemple, je recueille des informations sur le comportement législatif des députés de l’Assemblée Nationale au 20ème siècle, dans le but de cerner leurs croyances sur les rôles liés aux genres. Je débute également un projet de recherche qui vise à explorer le rôle des premiers états-nations et institutions dans la croissance économique à long terme.
Extrait du TSE Mag #18 Hiver 2018