Lutte contre la pauvreté: où est la gauche?

17 Septembre 2024 Public policy

Le débat sur le pouvoir d'achat se concentre sur la revalorisation du travail. La lutte contre la pauvreté et la refonte des aides sociales restent dans l'ombre car la gauche "semble incapable de s'en emparer sérieusement", déplore Frédéric Cherbonnier.

Voit-on un retour du clivage gauche-droite traditionnel, opposant sur le plan économique la volonté de réduire les inégalités à celle consistant à récompenser le mérite? Et cela fait-il progresser le débat public? Considérons pour cela l'un des principaux thèmes des dernières élections: le pouvoir d'achat. On peut distinguer dans cette thématique la lutte contre la pauvreté et le souhait de rémunérer davantage le travail. Il est bien sûr quelque peu caricatural de ranger le premier dans les politiques de gauche, le second dans celles de droite, mais tenons-nous en à ce raisonnement à ce stade.

Sur le premier point, près de 9 millions de personnes, soit 13,6% de la population française, étaient en 2023 en situation de privation matérielle et sociale. Cet indicateur est construit à partir d'une enquête réalisée à travers l'Europe, sondant les individus sur treize éléments considérés comme nécessaires pour un niveau de vie acceptable (par exemple pouvoir posséder deux paires de chaussures en bon état). Ce niveau de pauvreté est très significatif (deux fois plus élevé que dans les pays nordiques) et le résorber suppose de viser les catégories concernées de la population, en particulier les familles monoparentales en travail à temps partiel, les chômeurs de longue durée, certains jeunes adultes.

Sur le second point, on observe depuis quelques années un tassement des salaires au niveau du SMIC: le nombre de salariés payés à ce niveau serait passé de 12% en 2021 à plus de 17% en 2023. Cela s'explique à la fois par l'indexation du SMIC sur l'inflation (qui a conduit les salariés payés au-dessus à voir leur rémunération rattrapée par celui-ci) et par la forte réduction au voisinage du SMIC des cotisations sociales à la charge des employeurs - rendant très coûteux pour ces derniers toute augmentation de salaire accordée à leur personnel peu qualifié. In fine, une bonne partie des employés se retrouvent dans des trappes à bas revenu. Ils ont dès lors très peu d'incitations à se former, à évoluer dans leur métier, faute de pouvoir en attendre un gain financier.

Exonérations

On pouvait espérer que la fin du "en même temps" et le retour d'une polarisation droite-gauche permettent de mieux faire émerger ces deux problématiques, mais il n'en est rien. Seule l'une d'entre elles, faire en sorte que le travail paie davantage, est présente dans le débat public. Ainsi, dans la foulée de réflexions engagées par les économistes Antoine Bozzio et Etienne Wasmer, le gouvernement précédent a esquissé une remise à plat des exonérations de cotisations sociales visant à rendre moins coûteux pour les entreprises d'augmenter les salaires. Il faut s'attendre à ce que le futur gouvernement étiqueté "à droite" reprenne cette orientation en cherchant au passage à réduire ce dispositif très coûteux (plus de 80 milliards d'euros par an!), de façon sans doute timide pour ne pas trop pénaliser l'industrie.

En revanche, le premier problème, celui de la pauvreté, reste dans l'ombre. De fait, la gauche semble incapable de s'en emparer sérieusement. La solution serait de fusionner les différents dispositifs d'aides sociales (RSA, prime d'activité, aides au logement..), comme l'avait proposé le Conseil d'analyse économique en 2017, pour mieux les cibler sur les populations dans le besoin, voire pour renforcer l'ensemble du dispositif. Mais la politique proposée par le Nouveau Front populaire (forte hausse du SMIC) ne permet absolument pas de s'attaquer à la question de la pauvreté : seulement 20% des personnes payées au SMIC sont "pauvres" au sens monétaire (c'est-à-dire vivent au sein d'un ménage touchant moins de 60% du revenu médian). Au contraire, en rendant plus coûteux l'emploi d'un salarié peu qualifié, cette politique aggraverait le chômage et, par voie de conséquence, la pauvreté.

Article paru dans Les Echos le 11 septembre 2024

Illustration Photo de Joel Muniz sur Unsplash