Nos choix alimentaires peuvent être décisifs non seulement pour notre bien-être physique mais aussi pour notre planète et les régimes alimentaires des consommateurs se révèlent généralement imperméables à toute campagne publique d’information. La plupart des économistes recommandent plutôt de remplacer ces dernières par des taxes, selon eux, l’outil le plus efficace pour réduire l’empreinte énergétique de nos listes de course. Dans une nouvelle étude reprise dans le New York Times en début d’année, les chercheuses Céline Bonnet, Zohra Bouamra-Mechemache et Tifenn Corre suggèrent que la meilleure stratégie consisterait à imposer une taxe sur la viande de bœuf.
L’industrie agricole est, après le secteur de l’énergie, l’industrie ayant le plus fort impact sur l’environnement. En 2010, 24 % des émissions de gaz à effet de serre provenaient de l’agriculture, de la foresterie et de l’aménagement des territoires. En plus du réchauffement climatique, l’industrie agricole contribue de façon significative aux problèmes d’eutrophisation, à la dégradation de la biodiversité, à la déforestation, à l’usure des sols, à l’épuisement des ressources en eau et à la toxicité. Au sein de cette industrie, les élevages de bovins et de vaches laitières sont particulièrement polluants. Ils produisent près de deux tiers des émissions mondiales imputables au secteur de l’élevage.
Le fait de consommer moins de viande a des avantages indéniables sur la santé et l’environnement et pourtant, d’après les tendances actuelles mises en lumière par l’Organisation mondiale de la santé, la consommation mondiale de viande devrait augmenter de 72 % entre les années 2000 et 2030. La consommation de viande devrait également continuer d’augmenter en Europe, mais la viande rouge devrait se faire plus rare dans les assiettes au profit de la viande blanche.
Encourager des habitudes de consommation plus écologiques et parvenir à réduire la consommation de viande se révèle être une tâche complexe. Pour les chercheurs, mesurer l’impact d’une politique est loin d’être aisé car les consommateurs peuvent remplacer les produits taxés par d’autres, selon des schémas extrêmement difficiles à prédire. Le fait de consommer moins de viande peut par exemple pousser les consommateurs à consommer davantage de poisson ou de produits laitiers. Les habitudes varient également au sein de chaque catégorie alimentaire : les consommateurs peuvent éprouver plus de difficultés à renoncer à la viande fraîche qu’au jambon en barquette.
Dans leur article, les chercheuses analysent l’impact des politiques tarifaires environnementales ciblant de manière spécifique la consommation de produits d’origine animale. La plupart des études portant sur la demande des consommateurs en produits d’origine animale utilisent des données agrégées au niveau du pays ou de la région concerné(e) mais l’étude menée par TSE exploite un ensemble de données fournissant des informations exceptionnellement détaillées sur les achats alimentaires des ménages individuels en France.
« L’idée d’imposer une taxe sur la consommation de produits d’origine animale afin d’influer sur les décisions prises au sein des ménages n’a rien de nouveau. Mais la pertinence d’une telle taxe n’a pour le moment fait l’objet d’aucune étude approfondie. Nous faisons une estimation des schémas de consommation des principaux produits d’origine animale et d’un agrégat de produits d’origine végétale, ce qui nous permet d’analyser de façon très précise les schémas de substitution » expliquent les chercheuses. Pour s’aligner sur les objectifs définis par l’Union européenne, les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites de 20 % d’ici 2020 et de 60 % d’ici 2050, et le prix recommandé du carbone s’élève pour ces deux années à 56 € par tonne et 200 € par tonne respectivement. Les chercheuses de TSE se servent de ces prix du carbone pour simuler l’impact d’une taxe carbone sur la consommation de produits d’origine animale.
Les résultats obtenus montrent qu’une taxe peu élevée a un très faible impact sur les émissions de gaz à effet de serre. Une taxe élevée entraînerait en revanche une réduction de 6 % des émissions de gaz à effet de serre pour l’ensemble des produits alimentaires. Ces deux taxes seraient cependante l’une comme l’autre insuffisantes pour réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 conformément à l’objectif fixé par l’Union européenne.
« Nous avons conclu que les impacts sur les émissions de gaz à effet de serre sont bien moins significatifs que ceux mis en lumière dans les précédentes études basées sur des données plus agrégées, indiquent les chercheuses. Cela s’explique par le fait que la demande en produits d’origine animale est moins élastique au niveau agrégé. Une évolution du prix des produits d’origine animale ne génère que peu de substitution ou des substitutions partielles au profit de produits alimentaires d’origine végétale. En effet, une partie des substitutions s’opère au sein même des catégories de produits d’origine animale. »
Selon les chercheuses, le scénario le plus efficient consisterait à imposer une taxe élevée sur la consommation de bœuf uniquement. Une telle taxe permettrait de réduire de 3,2 % les émissions de gaz à effet de serre, ce qui représente plus de la moitié des effets bénéfiques sur l’environnement que pourrait avoir une taxe imposée sur l’ensemble des produits d’origine animale, en augmentant de 12 % seulement les coûts répercutés sur les ménages.
Pour en savoir plus : L« An environmental tax towards more sustainable food: empirical evidence of the consumption of animal products in France » par Céline Bonnet, Zohra Bouamra-Mechemache, et Tifenn Corre dans la revue Ecological Economics.
Extrait du TSE Mag #17, Eté 2018