Le changement climatique met l’humanité en danger. La lettre encyclique du Pape à propos du changement climatique, publiée le 18 juin, souligne les risques qui menacent « notre maison commune », en affirmant que « désormais, les prévisions catastrophistes ne peuvent plus être considérées avec mépris ni ironie. » De telles prédictions apocalyptiques sont cependant communes aux discours religieux et aux discours environnementalistes. Mais quelle est réellement la gravité de la situation ?
Peut-être pour la première fois dans l’histoire , il semble y avoir un large consensus parmi les scientifiques : notre planète pourrait faire face à des scénarios effrayants dans un avenir pas si lointain. L’arrêt de la circulation des eaux océaniques dans l’Atlantique, la déglaciation du Groenland et de l’Antarctique et l’élévation massive du niveau de la mer sont autant de phénomènes qui pourraient tous être la conséquence de notre inaction. Tenir compte de ces scénarios catastrophiques constitue un enjeu immense pour les scientifiques comme pour les économistes.
Que devons-nous faire face à ces menaces ?
Une approche, peut-être extrême, voudrait que le simple risque d’une extinction humaine massive nous incite à faire tout notre possible pour réduire cette éventualité. Mais un contre-argument valable consiste à dire que nous faisons également face à d’autres menaces existentielles. Concentrer tous les efforts sur une seule d’entre elles serait alors irréfléchi. Dans son livre intitulé Catastrophe: Risk and Response (Oxford University Press, 2004), Richard Posner soutient que nous n’agissons pas suffisamment pour nous protéger vis-à-vis des risques de catastrophes tels que le changement climatique, les impacts d’astéroïdes ou le bioterrorisme.
À la lumière de cette « concurrence » entre les menaces sur son existence, quelle somme l’humanité devrait-elle investir dans l’atténuation du risque climatique ?
Beaucoup d’experts pensent qu’il faudrait essayer de limiter le réchauffement planétaire à 2°C. Pour justifier ce chiffre, les économistes cherchent à comparer le coût de la réduction des émissions actuelles avec les bénéfices possibles. En effet, un compromis est nécessaire : investir aujourd’hui davantage de ressources dans la prévention climatique laisse moins de ressources pour la prévention des risques plus immédiats et ne bénéficie ainsi que de façon incertaine aux générations futures. Néanmoins, évaluer ces bénéfices requiert que nous déterminions le coût de la réduction de la possibilité d’un avenir catastrophique. Or, c’est une tâche épineuse. L’économiste de Harvard Martin Weitzman fait valoir qu’une catastrophe climatique entrainera pour la société rien de moins que des pertes infiniment dramatiques. Une analyse coûts-avantages - outil standard des économistes pour évaluer une politique - ne peut pas être effectuée ici, car la réduction d’une perte infinie est infiniment rentable.
D’autres économistes, dont Kenneth Arrow et William Nordhaus, ont examiné les limites techniques de l’argument de Weitzman. Étant donné que l’interprétation de l’infini dans les modèles économiques des enjeux climatiques est essentiellement un débat sur la façon de faire face à la menace d’extinction, le poids de l’argument de Weitzman dépend fortement de la valeur accordée à la vie. Les économistes estiment cette valeur en fonction des choix personnels de chacun : nous achetons des casques de vélo, nous payons plus pour une voiture plus sûre, et ceux qui exercent un métier à risque reçoivent une compensation. Les compromis individuels observés entre sécurité et argent montrent la volonté de payer pour une réduction du risque de mortalité. Des centaines d’études indiquent que les habitants des pays développés sont prêts à payer collectivement quelques millions pour s’épargner statistiquement une mortalité supplémentaire. D’ailleurs, l’Agence de protection environnementale des États-Unis (Environmental Protection Agency) recommande l’utilisation d’une valeur d’environ 8 millions de dollars par décès évité, et en France la valeur de référence pour la valeur de la vie statistique est de 3 millions d’euros (rapport Quinet 2013). Le concept de valeur de la vie est un candidat naturel pour tenter de chiffrer les bénéfices liés à la réduction du risque d’extinction. Pourtant dans ce contexte, une telle approche peut sembler quelque peu curieuse. Le risque d’extinction est ici totalement différent du risque que nous rencontrons individuellement dans notre vie quotidienne. L’extinction de l’humanité est un risque que nous partageons tous - c’est même l’exemple ultime de risques individuels parfaitement positivement corrélés - et ce sera un événement sans précédent, ne se produisant qu’une seule et unique fois !
Le manque de données fiables exacerbe les difficultés méthodologiques et philosophiques profondes rencontrées par les économistes du changement climatique. L’extinction est une menace pour les générations futures, évaluer et concevoir les politiques de prévention est donc le défi crucial d’aujourd’hui. La conférence des Nations Unies à Paris en décembre fournira l’occasion de prendre des mesures pour protéger les générations futures face à ce risque.
Lien vers le Monde.fr
(Cet article a également été publié en anglais sur le site de The Economist)
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